LE TATOUAGE : OBJET D’ART OU REPRÉSENTATION DU « MOI » ?

Le nombre de tatoués a copieusement augmenté depuis ces derniers années. Ce développement est animé par diverses motivations. Quand certains chercheront davantage à être le support d’un style qu’ils apprécient, d’autres se tourneront vers une intention bien plus spirituelle et intime. Au regard de ce qui se fait aujourd’hui, l’esthétisme joue un rôle bien plus important que lorsque les matelots, les prisonniers ou les membres de gangs se faisaient tatouer pour symboliser les aléas d’une vie ou une appartenance à un groupe.

Pourquoi ? Parce que le corps est devenu un support, une « œuvre d’art » ! La démocratisation du tatouage dérive à la fois de la désacralisation de notre enveloppe corporelle et de la volonté d’être une entité unique. La limite est alors infime entre le phénomène de mode et le réel désir d’avoir le tatouage réalisé par un tel artiste. Artiste « de formation » qui plus est, car ils sont aujourd’hui nombreux à être issus d’écoles de graphisme ou des Beaux-arts : comme par exemple Chaim Machlev qui est diplômé des Beaux-arts de New York, Cokney qui a un DMA [Acronyme de Diplôme des Métiers d'Art - ndlr] ou encore Supakitch issu d’une école de graphisme. Cette récente vague de tatoueurs, pleine de créativité, innove dans les styles et développe une nouvelle image du tattoo. Il est désormais branché de se faire tatouer ! Le tatouage inonde alors le marché, à travers les publicités et divers évènements, comme l’exposition Tatoueurs, tatoués au musée du Quai Branly [programmé jusqu'au 18 octobre 2015 - ndlr].

Publicité Coca-Cola en collaboration avec le couturier Jean-Paul Gaultier

Publicité Coca-Cola en collaboration avec le couturier Jean-Paul Gaultier.

Cette démocratisation du tatouage s’illustre parfaitement avec le shop Bleu-Noir , orchestré par Jeykill et Veenom. Non content de surfer sur la vague graphique, qui a ouvert le tatouage à une génération de hipsters, les deux confrères poussent la glisse du succès encore plus loin. Ils ont souhaité prolonger leur expérience au sein du 9e Concept [collectif d’artistes transdisciplinaires, créé par Stéphane Carricondo, Ned et Jerk 45, dans lequel se sont rencontrés Jeykill et Veenom - ndlr] en proposant dans leur salon des produits dérivés, des installations et même des résidences d’artistes et des expositions. Le tatouage n’est alors plus qu’un médium, semblable à une toile ou un art toy, sur lesquels ils diffusent leur style et leurs projets. Il devient « pop », et alimente un marché mercantile, au même titre qu’un objet de collection ou qu’un catalogue d’exposition. Le danger est là, ne pas se laisser séduire par une mode ne correspondant pas à nos attentes. « Chaque jour les tatoueurs font un gros travail de terrain pour éduquer leurs clients, leur éviter de suivre ce qui pourrait s’apparenter à des tendances et se faire tatouer des motifs qu’ils regretteront plus tard », explique le tatoueur Mikki Bold pour le site l'Express Style. Les listes d’attente et les prix – parfois à la limite de l’exorbitant – ne doivent pas être des arguments de vente. Rechercher un tatoueur doit donc se faire de manière plus large qu’en un simple click sur « meilleurs tatoueurs ». Des centaines de tatoueurs parsèment nos villes, et bien qu’il faille se méfier des charlatans, beaucoup de shop hébergent de talentueux tatoueurs, pas forcément répertoriés dans les listes « mode et beauté » des magazines tendance. L’important est de trouver chaussure à son pied, quand le pied désire vraiment être chaussé !

Exposition à l’artshop © Bleu Noir Tattoo – Paris

Il y a, de l’autre bord, ceux qui cherchent à se graver quelque chose de plus symbolique, marquer d’un fer rouge une période ou un évènement de leur vie. « La peau fournit à l’appareil psychique les représentations constitutives du Moi et de ses principales fonctions », écrit le psychanalyste Didier Anzieu dans Le moi peau. Le moment du tatouage est alors l’incarnation de l’émotion par la sensation. L’émotion devient physique et sensorielle plus qu’affective.  La relation avec le tatoueur est ici plus intime puisqu’il participe à ce changement d’état, à cette matérialisation du sentiment. Elle s’apparenterait presque à celle que l’on pourrait avoir avec un psychologue. Le tatoueur est choisi pour ses qualités techniques, bien entendu, mais aussi humaines. Certains tatoueurs cherchent même à aller plus loin dans ce contact humain. Nous avons par exemple eu la chance de rencontrer Sailor Raffy, tatoueuse hand-poked [dotwork sans machine – ndlr], qui étudie en parallèle de son métier d’artiste la médecine chinoise. Par exemple, l’acupuncture lui permet d’établir un lien entre les ponts énergétiques du corps et son aiguille de tatoueuse. C’est pour elle un moyen de se rapprocher encore un peu plus de l’humain et du spirituelle, de « pousser le partage avec les gens », dit-elle.

Sailor Raffy – Constellation Tattoo

Elle nous explique par exemple que le dos « est un des méridiens principaux et donc une zone énergétique très forte. Le tatoueur doit alors être très précautionneux lorsqu’il tatoue cette partie du corps car il vient titiller le Qi, l’énergie interne ». Son créneau à elle ce sont les constellations, qui la fascine depuis toujours,  « ces choses lointaines qui brillent ». Ses tatouages personnels ont toujours été « spontanés mais réfléchis à la fois ». Au court de notre entrevue elle nous a expliqué quel rapport elle entretenait avec eux: « ils ont tous un sens particulier qui évolue dans le temps, je me rends compte qu’ils m’accompagnent, et qu’aujourd’hui je vais y projeter d’autre choses. C’est vraiment vivant, c’est en ça que je trouve que le tattoo est vivant finalement ». L’identité de la tatoueuse Sailor passe donc aussi énormément par le partage et la générosité : « ce rapport que j’ai au tatouage c’est quelques chose que j’ai envie d’offrir, de proposer aux gens, d’avoir un tatouage hyper symbolique et de se l’approprier complètement, il y a une grande part à l’autre, pour moi ça c’est hyper important ». Une manière authentique et très intéressante d’appréhender son prochain tatouage… Pour moi c’est déjà tout vu !

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